« - Je m’en fou tu m’attraperas pas !

Elle riait aux éclats : jolie petite rouquine qui plaisantait avec son petit frère. Il était tellement petit, mais tellement intelligent pour son âge. Oui, ça se voyait qu’ils étaient inséparables tous les deux. Elle courrait à travers la demeure dans laquelle elle habitait. Mais à trop courir, et à tourner la tête, elle finit par se prendre dans les pieds de quelqu’un, et elle tomba à terre.

- ROMANE ! ARRÊTE TES BÊTISES UN PEU ! CE N’EST PAS COMME CA QUE L’ON T’A ÉDUQUÉ ! »

Une moue boudeuse sur le visage, elle se faisait souvent gronder par sa mère. Quand elle chantait aussi, elle lui criait dessus, lui disant de se taire parce qu’elle n’était pas vraiment douée pour ça. Mais secrètement, elle rêvait d’être chanteuse, et de faire de sa voix son métier, plus tard, quand elle serait grande. En attendant, maman était méchante avec elle, parce qu’elle avait beaucoup d’énergie. Mais elle n’y pouvait rien après tout. »




« - De toute façon, je suis sûre qu’on était fait pour se rencontrer.

Elle est maintenant assez grande, son frère aussi, et ils ont rencontrés un garçon : un gentil garçon qui joue de la musique. Dès qu’il a son instrument, elle est fascinée par la manière dont il le maîtrise. Ils se sont rencontrés, et puis de fil en année, ils ont tellement sympathisés qu’ils sont devenus très vite inséparables. Comme les trois mousquetaires vous connaissez l’histoire non ? Et bien c’est à peu de choses près la même entre eux.

- Arrête de rire pour rien bécasse !

Mais ça ne l’empêche pas de rire : parce qu’elle est toujours dotée de cette vivacité, de cette joie de vivre intense qui l’habite depuis son plus jeune âge. Oui, c’est un vrai rayon de soleil, même s’il lui arrive parfois d’être un peu arrogant avec les autres : mais ces parents l’ont éduquée ainsi. Elle rêve toujours d’être chanteuse, mais secrètement maintenant, parce que ces parents l’ont forcés à partir dans une autre voie : celle du journalisme. Alors elle garde sa voix pour elle, et se perd corps et âmes dans sa nouvelle voie. »




« - Qu’est-ce qu’on ferait sans toi Romane hein ?

Elle est connue partout maintenant : dans le monde entier, le nom Lefèvre est connu. Parce que oui, elle est très aimée de ces collègues maintenant qu’elle a réussi à se dégoter une place de journaliste. De ces collègues et de la profession : elle est la fierté de sa famille, et de ses amis. Enfin de ceux qu’elle croit être ses amis.

- Rien !

Elle rit encore. Elle est heureuse. Comme toujours. Elle a abandonné ses rêves de petite fille, a chassé l’adolescente, et a laissé de côté son ami, et son frère : Adam, et Gabriel. Et ses parents n’ont jamais été aussi présents pour elle. La vérité c’est qu’ils profitent de son succès pour surfer sur la vague des médias : ainsi, ils font de la pub pour leur grande famille, histoire que tout le monde s’arrache les Lefèvre. Mais peu importe pour Romane : tant qu’elle y arrive, tout va bien. »




« - Vous ne pourrez plus jamais marcher.

Un accident de voiture, des années plus tard. Un chauffeur en sens inverse, la voiture sur les jambes, et une paralysie à vie. En entendant ces mots, elle devient hors d’elle, hurle des mots horribles sur le médecin, jette un vase sur lui. Elle pleurs aussi. Elle pleurs sa douleur : car perdre ses jambes, c’est perdre sa vie. Et perdre sa vie, c’est perdre tout ce qui l’entoure.

- Cassez-vous ! Je ne veux plus vous voir !

Elle hurle encore, peste contre ses jambes. Elle ne veut pas y croire : elle essaie de les bouger, en vain, elle n’y arrive pas. Elle s’énerve, balance la table de chevet par terre, et elle se traîne au sol. Elle rampe, essaie de marcher, essaie de bouger même une seconde, ses satanées jambes qui ne veulent rien savoir. Et à bout de force, elle finit par rester par terre, à pleurer. »




«  Cela fait des jours qu’elle n’est pas sortie. Peut-être des semaines qui savent ? Elle ne sait même pas à quand remonte son dernier repas, ni quand est-ce qu’elle a, ne serait-ce que bouger un peu ce fauteuil : il y a une heure ? Un jour ? Une semaine ? Elle est là, dans le noir : de temps en temps elle bouge pour ne pas s’engourdir les bras. Elle bouge son fauteuil du salon à la chambre, puis de la chambre à la salle de bain, de la salle de bain à la cuisine. Mais elle ne saurait pas dire tous les combien de temps. La vérité c’est qu’elle n’a plus la foi en la vie, elle n’a plus foi en rien : elle a perdu le contact avec ses parents, son travail l’a licencié, et même si son frère essaie de lui redonner le sourire, rien ne marche. Elle n’a plus de joie de vivre : il est loin le temps de l’innocence. Il lui reste Adam, mais elle ne croit plus en rien ; même ses amis lui ont tournés le dos. Elle n’a presque plus personne, et plus rien à quoi se raccrocher. Elle n’a plus que ce fauteuil, et cette vie dans le noir. »