Cher journal,

Ils ont dit qu’elle avait pris sa décision d’elle-même. Ils ont dit que de toute façon, c’était bien mieux pour elle. Moi, je ne comprends pas. Leahn est partie depuis quelques heures, maintenant. Mes parents ont essayé de m’expliquer, j’essaye d’accepter… J’ai pleuré pendant si longtemps que mes yeux sont tout secs. J’entends encore ma mère dire à mon père que ce n’était peut-être pas la meilleure solution. Il lui répond qu’elle a tort de penser ça et qu’elle changera d’avis, d’ici quelque temps. Combien de temps ? Quand reviendra-t-elle ? Reviendra-t-elle seulement ? Elle n’est pas partie depuis longtemps et pourtant, je me sens déjà perdue sans elle. Leahn est bien plus que ma grande-sœur, c’est ma meilleure amie. Ma seule amie… Les autres enfants de mon école ne m’aiment pas, je suis trop énergique pour eux. C’est vrai que j’aime m’occuper et que je suis très maladroite, les deux n’allant pas du tout ensemble, je fais souvent des bêtises. Seulement, je veux toujours bien faire, tu le sais toi, n’est-ce pas ? Papa et maman sont gentils avec moi, ils essayent de me remonter le moral quand je suis triste à cause de ma solitude. Mais il n’y a que Leahn qui peut vraiment me redonner le sourire. Elle seule sait trouver les mots… Elle savait trouver les mots… Et maintenant, que vais-je devenir sans elle ? Si elle a vraiment pris sa décision sans l’aide de personne… Alors je la déteste ! Elle m’a abandonnée ! Elle n’a pas pensé une seconde à moi ! C’est sûrement son ami qui lui a mis cette solution dans la tête ! Elle n’aurait jamais pu m’abandonner sans que quelqu’un ne lui en donne l’idée. Je les déteste tous les deux ! Je ne veux plus jamais la revoir, je ne veux plus jamais en entendre parler ! Je l’aime tellement… pourquoi m’a-t-elle laissée toute seule ?


Cher journal,

Aujourd’hui, c’était mon anniversaire, j’ai enfin quinze ans ! En me réveillant ce matin, j’avais totalement oublié que j’étais supposée vieillir d’un an en cette belle journée. Je crois que je ne suis pas très objective, parce qu’en vérité, il fait très froid et la neige commence à tomber. Précisément, le sol se recouvre de ce manteau blanc que j’aime tant. Alors à mes yeux, cette journée était parfaite. Seulement, tu sais comme moi qu’il manquait quelqu’un… Leahn… Tous les ans à la même date, je t’écris son prénom. En fait, quand je te relis, je vois que j’ai cessé d’en parler il y a trois ans. Avant ça, je n’arrêtais pas d’écrire son nom sur toutes les pages. Je crois que c’est parce qu’il y a trois ans, j’ai cessé de croire qu’elle reviendrait. Sauf en ce jour où j’ai soufflé mes quinzièmes bougies. Parce que j’ai toujours l’espoir qu’elle me souhaite un joyeux anniversaire, juste ça, rien que ça… Même ça, elle n’est pas capable de le faire. Déjà qu’elle n’a pas été fichue de m’expliquer ou même de me prévenir de son départ ! Oui, bien sûr, maintenant que je connais les véritables raisons, j’ai finis par relativiser. Légèrement. Il n’empêche qu’elle ne m’a rien dit avant son départ ! Même pas d’adieux, rien, nada, le néant… Comme si je ne comptais pas à ses yeux. Je sais que Sam, qui vient me voir quelques fois, cherche uniquement à prendre de mes nouvelles pour les lui donner. Parfois, il essaye de me parler d’elle mais je suis plutôt fermée à ce sujet. Pas un coup de fil ? Eh bien, qu’elle aille se faire voir ! Il ne doit pas lui dire ainsi, il est trop gentil avec elle. Il est très gentil tout court… En attendant, papa et maman, eux, m’ont offert un anniversaire génial ! Papa m’a offert des places VIP pour aller voir un groupe que j’aime bien, qui passe juste à côté de Taleville. Il m’a dit que je pourrais y aller avec des amis… Ouais, il pense que j’ai une foule d’amis. J’ai beau lui dire que ça ne se bouscule pas aux portillons, il ne comprend pas. Il ne comprend rien, en fait. Quand je lui parle de mes projets d’avenir, il fait la sourde oreille, par exemple. Il n’essaye même pas de m’écouter. Maman, elle, a fini par comprendre. D’ailleurs, elle m’a offert un cahier à croquis pour mes modèles. Il est magnifique. Là encore, je ne suis pas objective. C’est juste que c’est un cadeau de ma mère alors il est forcément magnifique. En fait, je suis sûre que Leahn aurait compris aussi… Si elle avait été là ! Mais non… Et comme toujours, j’ai fêté un énième anniversaire avec juste papa et maman. Ma sœur absente et aucun ami pour me soutenir. Tu sais toi, que mon seul ami, c’est toi… Les autres, ce sont juste des fréquentations, rien de plus. Parfois, je me demande ce qui cloche chez moi. Je ne dois pas être normale pour n’avoir aucun ami sincère… Ouais, je dois avoir un problème de fabrication…


Cher journal,

Je reviens tout juste de chez les Dumbriek. Tu sais, le petit Henri que je garde… Ce qu’il peut être adorable. Il a deux ans et il semble tellement heureux, ce petit bout’chou. Un rien le fait sourire et ma voix semble le calmer aisément. Je suppose que si je n’ai pas un don pour converser avec les gens de mon âge, j’en ai un pour apaiser les plus jeunes. Quand je suis avec Henri, je ne suis plus du tout maladroite. Heureusement, sinon je n’aurai pas fait long feu dans cette famille. Par contre, en présence de monsieur Dumbriek, c’est autre chose… Il m’a dit l’autre jour que ça ne le dérangeait pas si je l’appelais Lucien… J’ai rougis et souris comme une idiote. Je m’attache beaucoup trop à cette famille, à Henri et surtout, surtout à Lucien, oui… En même temps, c’est le premier homme que je rencontre qui n’est pas un proche de Leahn et qui n’a pas envie de me tripoter pour voir "ce que ça fait". Les garçons de mon âge sont une plaie. En parlant de garçon, j’ai eu des nouvelles de Samuel. Je suis restée sous le choc quand il m’a dit que ma sœur venait de s’installer à Taleville… Leahn est de retour. Il a essayé de savoir ce que je comptais faire. Je t’avoue que j’en ai aucune idée… Je suis partagée… Je pensais en avoir complètement fini avec cette histoire, qu’elle me passait au-dessus à présent. Non, je suis encore en colère contre elle. Mais d’un autre côté, j’ai besoin d’avoir des réponses. Et j’ai vraiment envie de la revoir. C’est ma sœur, je ne peux pas faire comme elle, je ne peux pas la renier comme si elle n’était rien. Que je la déteste ou que je l’aime, elle a toujours eu une place dans mon cœur. Au final, je suis complètement paumée. Que dois-je faire ?  Je dois t’avouer que j’ai aussi peur de la revoir. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? « Eh ! Comment tu vas depuis le jour où tu m’as salement abandonnée ? » Comme si elle n’avait pas assez causé de pagaille en moi… Je vais attendre un peu encore. Peut-être que le temps m’aidera à prendre une décision. La bonne décision.