Il avait l'impression d'avoir toujours été marié. Sa vie, d'ailleurs pouvait se résumer à trois choses : son travail, sa femme et Taleville. Il ne savait plus vraiment comment il l'avait rencontré, mais l'avait épousé assez vite et aimait bien retomber sur leurs photos de mariage. Il l'aimait, sincèrement, mais ne pouvait totalement lui faire confiance. Il se sentait obligé, à chaque fois qu'il était parti, de garder un oeil sur elle, il avait tellement peur qu'elle le trompe, qu'elle s'enfuie ou n'importe quoi qui pourrait le rendre fou de colère. Comment être sur qu'elle n'ai pas une aventure ? Il en mourrait d'inquiétude qu'elle puisse, à un seul moment, défier ses ordres. Alors, il avait instauré quelque chose. Il lui laissait les clés de la maison, dont une qui ouvrait un petit coffre où il gardait des souvenirs de son enfance et qu'elle ne devait ouvrir sous aucun prétexte. Si elle ne l'ouvrait pas, il pourrait alors lui faire confiance. Sinon, il ne répondrait plus de rien.

D'aussi loin qu'il se souvenait, revenir à Taleville avait toujours été une joie pour lui. Il savait que le taxi le déposerait sur la place, d'où il marcherait jusque chz lui, profitant de ces quelques minutes pour respirer l'air pur et salé de la ville, achetant un gâteau pour se faire pardonner du retard auprès de sa femme. Il arrivait toujours avec deux jours de retard de ses voyages, sans qu'il n'ai jamais voulu lui dire pourquoi. Et pourtant, chaque foi, c'était la même chose. Comme une routine immuable qu'il ne pouvait changer. Taleville lui manquait tout le temps durant ses voyages. Pourtant, le monde était beau. Il pensait souvent à emmener sa femme en voyage, quelque part au soleil, mais n'avait jamais le temps. Il n'avait le temps de rien, et Taleville restait toujours dans un coin de sa mémoire, coin qui grandissait au fil des jours passés loin de la côte, à l'étranger. Il n'y a qu'à la maison que l'on se sent vraiment bien.

C'était un matin, comme les autres, il était parti courir mais cette fois, quelque chose avait changé. Il n'avait pas pris la route, préférant courrir sur la plage. Il courrait plus longtemps. Quand il rentra, sa femme était déjà parti faire des courses, sans lui, et sans même lui avoir préparer un petit déjeuner. Il du se résoudre à finir le café froid de la vieille avec une tranche de pain sec. Elle finit par revenir, les bras chargés de sac et, alors qu'elle rangeait tout, Apollinaire ne put s'empêcher de remarquer un changement. Elle avait été chez le coiffeur. Il resta troublé par sa nouvelle coupe avant d'aller prendre sa douche, l'eau chaude relaxant ses muscles alors que la buée envahissait la salle de bain. Il pensa longtemps, ce qui n'était pas à son habitude. Et alors, il décida lui aussi de changer. Il se rasa la barbe. Sans le savoir, il avait commencé à vivre, enfin. La malédiction avait été rompue.