MERE-GRAND VEUX TOUT SAVOIR, AVANT, DANS LE MONDE DES CONTES, T’ÉTAIS QUI ? J’étais autrefois un prince. Un jeune prince. Un prince solitaire, sans amour, sans famille, et vivant dans une richesse et une oisiveté sans pareille. Ma demeure n’était nul autre qu’un somptueux château appartenant à ma famille depuis plusieurs générations. J’étais, à cette époque, arrogant, prétentieux, égocentrique et on ne peut plus insensible. Je n’avais que faire des autres, que faire de mes domestiques, que faire de ceux qui me côtoyaient. Ils n’étaient tous que des serviteurs, que des valets, que des individus de piètre et maigre importance. Telle est la vie dans laquelle je me complaisais durant toutes mes jeunes années. Cependant, tout se bouscula durant une nuit orageuse d’automne. Je reçu la visite d’une mystérieuse dame à l’allure on ne peut plus ténébreuse. Sans excès de cérémonie, ladite femme m’exposa clairement ses intentions, et le but de sa venue. Annexer ma richesse, annexer mon domaine, ma fortune et mes terres afin de devenir un acolyte, un sous-fifre. Elle voulait faire de moi l’un de ses fidèles, l’un de ses jeunes partenaires mais serviteur avant tout ! Bien évidemment, à peine eut-elle terminée cette pseudo proposition que je me suis mis à rire, à me moquer de cette étrangère. Pour qui se prenait-elle pour ainsi oser venir manquer ouvertement de respect à l’illustre prince que j’étais ? Plus que de la moquerie, je fis preuve d’un irrespect et de propos humiliants au possible, provoquant ainsi bien malgré moi la colère de mon hôte. Une rencontre maudite. Un sort que je provoquai. Un désastre maléfique que je ne sus combattre…

Par l’enchantement d’un sortilège, mes valets furent transformés en objet alors que, pour ma part, ma beauté radieuse s’effaça pour laisser place aux traits horrifiques d’une bête monstrueuse, affreuse et hideuse. Satisfaite de sa vengeance, l’étrangère quitta mon château, nous laissant dans l’état de cette malédiction. Toute la nuit durant, je ne cessai de geindre, de hurler, d’implorer les cieux pour ne pas demeurer sous cette apparence effroyable. Mais rien n’y fit… Et, bien avant les premiers rayons du soleil, au cœur de cette première nuit de cauchemar, je me laissa emporter par le sommeil. Un sommeil agité. Un sommeil inquiet. Je ne dormis que quelques heures avant de m’éveiller en sursaut sous la lumière du jour. Un cri de joie. Mon premier visage réellement radieux depuis ma venue au monde. Mon premier contentement, mon premier bonheur, mon premier soulagement sincère. J’étais redevenu humain. J’étais redevenu le prince que je fus toujours. Mes prières avaient été exaucées. Je pouvais vivre à nouveau sans crainte ! Tout du moins, telle est la sottise qui m’habitait. A peine avais-je été guéri que mes moqueries à l’encontre de cette ‘sorcière’ furent lancées aux quatre vents. Mais je déchantai rapidement. Je déchantai lorsque la lumière du soleil disparu à l’horizon. Lorsque la Lune revint à sa place… Et que les lueurs nocturnes révèlent désormais ce qui serait mon seul et véritable visage… Je n’étais plus un homme, j’étais devenu une Bête !

Je ne quittais plus mon château. Je demeurais enfermé et ancré dans ma propriété. Autant redevenais-je humain à chaque lever du soleil que je ne supportais pas l’idée de n’être qu’un monstre. Ma suffisance ne me permettait pas d’accepter ce maléfice au point de me risquer à aller au dehors de mes murs. Ce secret maudit était le mien et je ne pouvais laisser personne s’en approcher ou le découvrir. Quiconque aurait découvert ma nature nocturne ce serait sans nul doute perdu dans une quête de gloire et de triomphe, dans l’espoir de ramener la tête de la Bête tel un trophée de chasse. Ainsi me perdis-je d’avantage dans la solitude, jour après jour. Je devins plus amer, plus sévère. Mon caractère alla de mal en pis au point qu’il en vienne à épouser pratiquement la nouvelle apparence que je me voyais contraint de revêtir. Et lorsqu’un nouveau visiteur passa les grilles de mon château, il eut l’immense déplaisir d’être confronté à  la ‘chose’ que j’étais devenu. Un vieillard égaré, perdu, cherchant un abri. Voyant l’effroi qui parcouru son regard, je sus dès lors que je ne pourrai jamais le laisser repartir. Que raconterait-il ? Qu’irait-il dire de cette rencontre ? Et puis, surtout, il avait commis un crime hautement condamnable en prenant possession des lieux. Puisqu’il avait passé les portes d’une terre maudite, il serait destiné à y séjourner jusqu’à ce que la mort l’emporte. Sans doute recherchais-je un minimum de consolation dans mon chagrin et ma tourmente. Mais je ne cacherai pas que c’était également par pur sadisme volontaire et plaisant que je l’enfermai dans mes cachots, me contentant de le laisser dépérir et pourrir.

Il est parfois des caprices du Destin étonnant. En condamnant ce vieillard, je ne pouvais deviner que cela m’amènerait à croiser la route de la plus belle et merveilleuse personne qui me soit jamais donner de rencontrer. Une jeune femme répondant au doux prénom de Belle. Un prénom parfait pour une femme tout simplement mystérieuse, charmante et unique. Le vieillard était son père. Sans savoir dans quel enfer elle se faufilait, elle m’échangea sa liberté contre celle de son père. L’hésitation fut courte, légère. Mais je ne tardai pas à donner mon verdict. Elle ne sera pas mon invitée, mais ma prisonnière, à tout jamais ! La vérité est que je suis tombé sous son charme au tout premier regard. Je n’étais qu’un homme parmi les hommes après tout. Et mon cœur, enfoui sous tant de ténèbres et de noirceur, se mit à battre d’une force que je ne lui avais jamais connu. Mais comment aimer un monstre ? Comment apprécier un tortionnaire ? Comment succomber au charme d’un prince désormais maudit ? Cela était tout bonnement impossible ! Voilà pourquoi elle ne vit que la Bête, jamais le prince. La Bête hideuse et cauchemardesque. Sans surprise aucune, nos rapports furent tendus et relativement mauvais au début. Jusqu’à ce qu’elle parvienne à me désarmer totalement, à éveiller la part plus humaine que monstrueuse en moi. Et voilà comment elle fut amenée à me découvrir sans secret, sans mensonge et sans retenue aucune. Voilà comment elle fut en présence, non plus de la Bête, mais bien de l’homme masquant perpétuellement son apparence humaine, de ce prince que j’étais autrefois. Il était inutile de le nier : je m’étais mis à l’aimer… Et je ne pouvais tout simplement plus repartir en arrière.

De par cet amour brûlant et vibrant en moi, je compris, je découvris que je m’étais toujours fourvoyé dans ces traits de caractère solitaire, individualiste et insensible. Je découvris l’impact que pouvait avoir l’humanité, l’amour et la compassion sur ce qui m’entourait. Une découverte à double tranchant. Car, une fois humanisé, vous exposer votre cœur à des souffrances inévitables. Et la plus violente des souffrances que je ressentis fut celle de laisser partir Belle. Son père était malade. Elle avait besoin d’aller à son secours. Et, pour ma part, je ne pouvais plus accepter la présence de Belle en tant que prisonnière. Je la voulais à mes côtés, présente dans ma vie, mais sous une autre forme que celle présente. Il était hors de question qu’elle demeure ici si cela était sous la contrainte. Cependant, à l’inverse du mal que l’on sème, chaque bonne action finit par être récompensée et, si je puis dire, saluée à sa juste valeur. Car si Belle partit, Belle revint. Belle revint alors que ma légende fut découverte et qu’un village tout entier, mené par un certain Gaston, lancèrent le siège de mon château. Perdu sans celle que j’aimais, j’estimais que la mort était la seule issue heureuse que je pouvais connaître. Je laissai les assiégeants prendre possession des lieux. Je laissai Gaston m’atteindre. Jusqu’à ce que j’entende cet écho, jusqu’à ce que j’entende sa voix… Belle ! Elle était là ! Elle était revenue ! Je ne pouvais mourir, je ne pouvais pas me laisser vaincre alors que la femme que j’aimais était à nouveau dans les murs du château. Je me rebiffai contre Gaston. Je me rebiffai contre son hardiesse et sa violence. Je me rebiffai et fut sur le point de lui prendre sa vie. Mais Belle était de nouveau-là… Et lui me supplia, le regard pétri de crainte, essayant de faire appel aux sentiments humains encore présents en moi. Je relâchai ce rustre sauvage et le libéra sans appel. La seule condition étant qu’il quitte à jamais ses lieux et ne revienne jamais.

Il fut ainsi temps pour moi de retrouver celle que j’espérais comme ma moitié, comme ma promise. Chose que je ne pus imaginer dans le plus beau des rêves, elle me prit de court tout en m’avouant sa flamme, son amour et tous les sentiments qu’elle ressentait également à mon égard. J’aurais pu mourir le cœur léger. Mais il n’était pas question que je meurs, non. Je devais vivre, vivre, vivre encore et encore ! Et telle une récompense pour avoir duré autant de peine et de mal, ma malédiction se leva en même temps que l’amour de Belle se déclara. Plus de monstre, plus de cauchemar, j’étais enfin homme à nouveau. Un homme libre : libre de vivre pleinement épanoui. Libre de vivre heureux auprès de celle que j’aime. Libre de vivre sans plus jamais être seul. Libre de vivre en ayant appris à découvrir une vie plus belle et heureuse. Tel est l’homme que je fus. Telle fut ma vie. Tel fut mon Destin. Voilà qui étais-je dans cette ancienne vie de conte qui a su, un jour ou l’autre, éveillé votre cœur et votre émerveillement à la lecture de son histoire. Mais tel est aujourd’hui ce cercle presque infernal qui se répète et qui me condamne à vivre de nouveaux malheurs…