Sujet: l'étincelle dans son regard est intacte, mais elle a comme un faux contact dans le sourire. (romane) Ven 7 Fév - 14:07
Les caprices d'une enfant, la persuasion d'une femme, et dans tout ça, l'anthologie de la douleur premier volume. Accroché au téléphone, sa voix est à mi-chemin entre un désespoir futile et un énervement récurrent. Qui ne se lâche pas. A l'instar des cancers, ou des saloperies qui ne sortent plus du crâne. Mélodie de magasin qui tape dans l'esprit dans les moments calmes, fronçant les sourcils, je ne marmonne que quelques mots. Pas la peine de s'étaler, encore moins de créer des hypothèses sur les ignobles boutiques de Taleville. Trop hautes, plus rien n'est à sa taille, ce n'est plus qu'un haut de corps mouvant essayant de combattre le monde. Romane contre l'univers entier. Romane contre les injustices qui lui tombent sur la figure. Le karma, ou bien la vie qui lui retire sa chance. Souvent, je ne peux m'empêcher de me poser cette question. Véridique, point d'interrogation autour d'une tête trop pensante, qui se torture pour les autres au lieu de se préoccuper de sa main crevée. Un rire sec m'échappe alors que je glisse le téléphone dans la poche de mon jean. Elle aurait besoin d'un véritable chevalier sur son canasson blanc. Qui pourrait avoir ce rôle ? Je me considère plus comme le ménestrel un peu douteux, qui amuse plus qu'il n'attendrit. En m'y attardant plus sérieusement, je suis presque étonné de savoir qu'elle a pu sortir, qu'elle s'est donnée ce coup de pied au cul qu'elle méritait. Après tout, personne ne viendra lui rendre ce qui lui appartenait, ni son existence d'avant, encore moins son caractère aussi stable qu'enflammé. Ni moi. Ni la voisine. Ni même ce foutu Dieu même pas capable d'apaiser les âmes en peine. Serait-ce un petit espoir de guérison ? Qu'un jour elle viendra vêtue resplendissante, en oubliant ce handicap qui lui dévore le coeur ? Qu'un jour, elle se décidera à retrouver cette personne qui lui avait jadis tendu la main. Son alter-ego, son propre personnage, qui pourtant, a voulu se faire la malle au moment où la balle a transpercé sa peau de poupée. Chercher les morceaux de cette moitié ? Ce serait une bonne quête, une mission digne des plus grands et beaux livres qui trônent fièrement dans les bibliothèques. Les assembler, lui les rendre, et enfin terminer ce puzzle que constitue Romane Lefèvre. Ce bout de bonheur, de malheur, de deux extrêmes qui se frappent entre eux, jusqu'à la mort. Jusqu'à ce qu'elle disparaisse et se détruise. Assez combattante pour ne pas se laisser aller ? Quelques années auparavant, j'aurais hurlé sans ménagement qu'elle pourrait faire tomber le reste à ses pieds. D'un côté, puis d'un autre, elle valdingue comme un robot menaçant véritablement d'éclater. Qu'un être humain, qu'une femme comme une autre, avec sa touche d'expérience, qui fait d'elle ce qu'elle est. Objet fragile, capable de monstrueuses morsures, à double tranchant, elle serait capable de foutre en l'air mes idéaux, comme les affirmer. C'est dangereux. Suicidaire. Si tout était marqué sur mon visage, comme un livre ouvert, les gens murmureraient : ce gars est taré. Ce gars est cinglé. Qui est plus fou qu'un autre ? Est-ce que les croyants peuvent s'estimer heureux de croire en une entité invisible ? Tous marqués par un tatouage indélébile, visible par les plus futés. Là, dans le dos, au fer rouge. Pauvres bêtes à la recherche du bonheur, qui file, défile, s'effiloche aussi facilement qu'une plaie peut pisser le sang.
Le vent frappe doucement sur mes joues, alors que j'enfonce mes mains dans mes poches plus fermement. Pas comme si j'allais courir, pas comme si j'allais la faire attendre des heures non plus, un sourire vient à se glisser sur mon visage en l'imaginant souffler comme la gamine qu'elle avait pu être. Dépitée, harassée par les coups mauvais de son frère et moi, elle passait son temps à taper du pied tout en beuglant, que de toute manière, nous n'étions que des idiots. Elle n'avait pas faux, toujours maintenant, nous sommes d'indéniables crétins, nous changer serait nous dénaturaliser. Enlever les mots, les couteaux et repartir d'un bon point. Je pourrais, j'en serais capable. Si ma main droite ne me hurlait pas qu'il méritait de finir seul et claquer dans cette même solitude. Cette idée me refile un frisson, me démange alors que j'arrive devant le magasin. Nourriture en tous genres, des vêtements plus loin, un beau foutoir rangé. Un petit signe de tête à une vendeuse qui m'adresse un regard, la recherche de la tête rousse s'avère plus courte que prévue. Comme je m'en doutais, elle ne peut qu'attendre, coincée à jamais dans ce siège du Diable. Une queue-de-cheval sublime son visage, sa mine est la même que ces quatre derniers mois. Aussi dégoutée d'être là en deux morceaux bien distincts. M'approchant un peu plus d'elle, je m'arrête d'un coup sec, et dans une courbette plus que ridicule digne des meilleurs grooms, j'ajoute. « A votre service mademoiselle. » Voix grave poussée à l'extrême, un rire léger m'échappe alors que je croise mes bras sur mon torse. « Raconte-moi tes mésaventures, que je fasse un massacre envers l'établissement. » Haussant les sourcils, convaincu que mes dires peuvent marcher, même si je me sens capable de lui décrocher la lune, de là à faire un attentat envers les commerçants qui ne savent pas s'adapter à une Lefèvre, peut-être pas. Personne ne s'adaptera sans reproche à ce qui coule de source, elle doit tourner avec le monde, bien que bornée, si Romane veut, elle aura, même avec ses superbes gambettes en moins. Je vois seulement des biscuits, qui s'étale sur plusieurs mètres, les meilleurs se situent toujours le plus haut possible, et bien que je sache sa couleur préférée, je n'en suis pas au stade de décortiquer ce qu'elle mange le matin. Jetant à nouveau un coup d'oeil sur son corps, il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer qu'elle n'a pas encore perdu un peu de poids. A cette idée, mon estomac se tord, mais, si elle est là, c'est bien pour se reprendre en main ? Même un début ? Ce serait stupide de tomber dans la paranoïa, se planter et tirer hors du lit pour rien. Romane n'est pas chétive, pas au point d'attirer la pitié des gens, quand bien même il pourrait y en avoir, elle s'emballera aussi vite qu'un moteur de bagnole. Jusqu'à caler et saturer. Difficile pour elle, pour moi, pour Gabriel je suppose. Personne n'est à l'abri d'un éclat de torture en pleine figure. Elle aura beau frapper, m'envoyer dans les roses je resterais toujours dans un coin pour la rattraper. Dieu que le monde est laid. Dieu qu'il est injuste autant qu'il pue la décomposition. Et il nous assassine jusqu'à perdre la raison, combat constant entre les peurs et la réalité. Je sens les siennes me parvenir jusqu'aux tripes, et frapper contre mon torse. Boum. Boum. Une fois, puis deux, puis trois, toujours plus vite, jusqu'à ce que la peau implose et laisse dégouliner ma gueule de bois amoureuse.
l'étincelle dans son regard est intacte, mais elle a comme un faux contact dans le sourire. (romane)
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