Gouttelettes disparates qui se dirigent hasardeusement sur la surface immobile d'une vitre. La pluie qui tombe, légère et miséricordieuse, qui nourrit la terre. Un regard océan contemple ce merveilleux spectacle, de l'eau qui conduit et fait vivre les hommes. De ces sillons qui glissent le long de la matière transparente, en une course effrénée. Dont le nom de la gagnante ne pourra jamais être su d'avance. Puis les paupières s'abaissent quelques microsecondes, le visage se détourne du paysage grisaillant pour se tourner vers la forme sereine et endormie, qui repose sous une monticule de draps clairs. Quelques mèches couleur d'ébène, reposent délicatement sur le tissu de l'oreiller. On entend, si le silence se fait maître des lieux, une respiration lourde de sommeil. Puis le garçon soupire et passe une main dans ses cheveux. Chevelure de jais dont il a hérité de la silhouette apaisée, souffrante, qui repose sous les couvertures. La faute ne revenait à personne. Qui aurait pu prévoir, imaginer, qu'une malade dévorait la force vitale d'Alanis Huxley ? Qu'elle détruit tout sur son passage, tout ce qui est à portée de main. Obligeant l'âme innocente et endeuillée, à être réduite à l'état de personne amorphe. La laissant impuissante, des semaines entières sans pouvoir bouger de son lit. Ne pas pouvoir jouer son rôle de mère, voir grandir son unique enfant sans elle. Capturer la candeur enfantine et la liberté d'un garçon, lui léguant implicitement des responsabilités. Quelques phalanges viennent se poser doucement sur la joue blafarde, caressant la peau satinée avec une affection toute particulière. Elle est tout ce qu'il lui reste. Un regard brun, franc et honnête, qui se pose dans le sien. Une main sur son épaule. « Tu me promets que tu reviens vite, hein Papa ? Promets-moi ! » s'écrie-t-il, empressé et les yeux embués de larmes. La valeur paternelle et masculine de la famille, vêtue de son costume de capitaine, qui s'en va en mission, encore une fois. « Je te le promets, gamin. Je reviendrai. » lui dit-on, avant qu'une caresse soit faite dans ses cheveux en broussaille. Mais le temps commence à faire son oeuvre. Il continue son deuil, mais de moins en moins. Il oublie les traits du visage, les intonations de la voix. Il se souvient simplement d'une promesse. Il se lève enfin, étire ses muscles endoloris par la surveillance de l'ange affaibli, et sort de la pièce. À la recherche d'un morceau de liberté, d'un brin de vent, d'un rayon de soleil pour étayer sa vie.

« Je sors un moment, Mam's ! Je reviens vite ! » Le soleil brillait de mille feux, envoyant ses rayons valser sur tous les recoins de la ville. Une porte claque brusquement, faisant soupirer Madame Huxley. Son enfant, son sauveur, la chair de sa chair, s'envole au paradis pour quelques heures. Ledit garçon est sur le perron, vissant une casquette sur sa tête, un écouteur dans chaque oreille. Les rollers sont enfilés à sa pieds. Et la vitesse est prise, de plus en plus vertigineuse à mesure que la pression est faite sur le sol. La liberté. Cet espoir, ce besoin dévorant, primaire. La grâce de ses mouvements, tandis qu'il passe d'une rue à l'autre, esquive quelque passant qui sort précipitamment d'un magasin. Tel un papillon de fleur en fleur, il roule, traverse, sautille, virevolte à travers les avenues, les arbres. Il est agile comme un- « Merde ! Je suis désolé, vous allez bien ? » s'empresse-t-il de s'écrier, reprenant légèrement ses esprits. Une minute d'inattention et il percute quelqu'un, se faisant envoyer sur son royal fessier. Il relève la tête. Tombant dans un regard azur, un visage légèrement hâlé et une crinière emmêlée par le choc. Une haute stature qui se dresse encore devant lui, bras croisés. « Ca va, petit. Rien de cassé. Tu devrais faire attention à ce que tu fais, t'aurais pu blesser quelqu'un. » Un bras se tend vers le garçon, qui attrape la main calleuse. Il époussette légèrement son pantalon et se stabilise contre une barrière. Observant l'étendue des dégâts. Un paquet écrasé sur le sol, nettement brisé à l'intérieur d'après le bruit qui se fit entendre pendant la chute.  « Faute d'inattention, je suis désolé. Je peux faire quelque chose en dédommagement ? » Un sourire atteint les lèvres de l'homme, qui passe une main distraite dans ses cheveux bruns. « À vrai dire, oui. Tu sais cuisiner, petit ? » Celui-ci hausse un sourcil, avant d'imiter la gestuelle de l'autre, inconsciemment. « J'me débrouille, oui. » Tout en tendant l'oreille à la requête de l'autre. Mais une main le pousse par l'épaule, le faisant vaciller légèrement sur ses patins. « Parfait ! En route moussaillon, on a du pain sur la planche. » Puis les deux silhouettes disparaissent au détour d'une rue, l'une avançant légèrement plus vite que l'autre. L'autre boitant si légèrement que cela se voit à peine. Mais deux âmes remplies de questions, d'envies, de désirs à peu près semblables.