Seuls les rayons argentés  projetés par l’astre lunaire et le faible mais régulier scintillements des étoiles alentours éclairent la forêt bretonne, cette nuit. M’enfonçant plus profondément encore sur le banc froid et inconfortable du mirador, je contemple le paysage face à moi, plongé dans une obscurité quasi-totale. On n’aperçoit pas grand-chose de très loin, surtout pas les détails, mais on distingue, et c’est amplement suffisant. C’est surtout reposant. Vous êtes simplement là, lestement perché au beau milieu d’une forêt sombre et calme où l’homme jamais ne dominera la nature, et vous inspirez un air frais et revigorant à plein poumons. Rien à voir avec l’odeur de poisson répugnante qui traîne sur le port de la ville. Non, ici, tout est d’une beauté à la fois étrange et angoissante. Sont-ce simplement des branches qui frissonnent au gré du vent ou des animaux cachés dans les sous-bois ? Etait-ce bien une paire d’yeux jaunâtres que j’avais entrevus où la nuit me joue-t-elle des tours ? Beaucoup pense que la chasse est synonyme de barbarie. Qu’on abat stupidement quelques animaux simplement pour en exposer les trophées au-dessus d’une cheminée et faire le malin avec son Mauser acheté d’occasion à un vieux papi gâteux qui l’utilisait pour tirer sur les taupes qui ruinaient son champ de blé. Il existe, il est vrai, quelques non passionnés qui se ruent sur le gibier pour en vendre au prix fort, mais l’important dans ce loisirs, ce n’est pas la prise, c’est l’attente. Une attente parfois longue et peu fructueuse dans un silence presque complet, mais pourtant apaisante et propice à la réflexion. Un moment de répit loin de l’agitation de la ville, sans pour autant avoir besoin de s’envoler jusqu’aux Seychelles. Les personnes qui ne sont que peu habitués à la nature ou qui n’ont pas été initiés à la beauté du royaume de Dame Nature, ne comprenne pas vraiment pourquoi on prend du plaisir à chasser. Pourtant, l’homme poursuit cette pratique depuis des millénaires. Mon grand-père et mon oncle aussi, en sont des fervents pratiquants. C’est grâce à eux, que j’y ai pris goût. Expirant une bouffée d’air, je chassais un vile moustique du revers de la main lorsque je perçu des craquements. Des branches claquent, des vibrations naissent, un ronflement irrégulier et sourd perce le silence. Le mot « sangliers » surgit subitement dans mon esprit et je ne bronche pas, attentif. Les fourrés tremblent et cinq bêtes en surgissent, se jetant sur les grains de maïs au sol. Discrètement, j’empoigne la carabine et observe l’action au travers de la lunette. Trois sont encore jeunes, l’une semble être mère mais le dernier doit être un solitaire, un « kailer » bien armé. A l’œil nu, je dirais qu’il doit peser dans les quatre-vingt kilogrammes, vidé, ce qui est en soit une très belle bête. Esquissant un sourire, j’arme et je vise. Pas si simple en pleine nuit, sur cible mouvante, alors je prends mon temps et souffle de façon régulière. Le tout est de ne pas attirer l’attention, il ne faut pas les effrayer. Un. Deux. Trois. Le coup part immédiatement, fendant l’air de façon vive. Les bêtes s’affolent et s’en vont paniquées, dans la même direction. Je pense avoir touché le mâle. Il n’est toutefois plus présent dans la petite clairière, mais il ne doit pas s’être aventuré bien loin, pas dans un état pareil. J’attends quelques minutes supplémentaire puis décide de quitter mon perchoir, commettant le plus de bruit possible, afin de faire déguerpir tout autre animal qui espérait trouver sa  pitance ici. J’avais beau aimé l’endroit, hors de question de se faire empaler par un cerf cette nuit. Le sol est sec mais couvert d’un fin tapis de feuilles et de branches qui crissaient sous le pas de mes bottes. Armé d’une lampe torche, je commence à arpenter les environs, en quête de l’animal. Bientôt, un souffle saccadé suivi d’un lent râle me parvient aux oreilles. J’essaie de me guider par l’ouïe et les traces de sangs. Je débouche sur un fossé. Mais ce n’est pas sur le sanglier que je tombe. Enfin, pas uniquement. Une silhouette, encapuchonnée, venait d’abréger ses souffrances d’un coup de poignard et allait s’apprêter à vider la bête apparemment. J’étais ébahi, et légèrement effrayé. Ce qui devait être le cas de l’individu lui-même puisque aucun de nous deux n’a bronché. Je ne discernais pas les traits de son visage, mais les reflets de la lune me permettaient de voir clairement ses pupilles. Un marron glacé que je jurerais avoir déjà rencontré, des années auparavant.

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Les draps satinés glissent lentement sur deux paires de jambes dénudées et entremêlées. Je sens la douceur du tissu effleurer ma peau, retomber en léger plis au niveau de mon bassin alors que deux bras s’agrippent furieusement à mes épaules. Je laisse mon instinct et mes envies guider mes mains sur son corps, alternant douces caresses et fougueux baisers. Je sens ses boucles me chatouiller le visage, ses cils jouer avec les miens. Elle esquisse un sourire et je réprime le miens, préférant la jouer macho viril jusqu’au bout. Je sais pas, je sais plus comment j’en suis arrivé là. Je pouvais pas nier que c’était pas la première fois que ça m’arrivait, et les langues de vipères du coin ne pourrait qu’affirmer, mais c’était la première fois dans de telles conditions. Je me rappelle simplement que je venais de fermer le bar, qu’elle était encore là et puis pouf, téléportation vers un nid douillet qui semblait être le mien, éclairé par la lampe de chevet, le sol parsemé de vêtements. Il m’appartient vraiment ce caleçon bleu moulant qui pend depuis un vase près de la fenêtre ? Quoi qu’il en soit, elle n’avait pas l’air d’être contre, la donzelle. Je la détaille d’un regard de conquérant, balayant ses généreuses courbes du regard, m’attardant sur les fossettes qui bordent ses joues, sur ses lèvres pulpeuses, sur son regard affamé, avide de plaisir. Seulement, quelque chose est étrange, dérangeant. Un détail me titille mais pour autant, je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. « Tu réfléchis trop… » susurre doucement la blonde. Ou pas assez. Néanmoins, je suis à deux doigts de me laisser aller à nouveau lorsque je perçois des bruits légers mais étonnamment familiers. Des bruits de pas. Ses pas. Et c’est à ce moment précis que je réalise ce qui clochait. Et c’est à ce moment précis que mes paroles rejoignirent mes pensées : « Oh bordel de merde, le con… » Le détail perturbant que j’ai chassé de mon esprit quelques secondes auparavant, c’était le fait que, pour la première fois de ma vie, je menais une relation stable avec une femme. Le reste s’est enchaîné plus que rapidement. J’ai à peine le temps de me dégager du pieu que Rose Saint-Jean entre en trombe dans la chambre. Il fallut très exactement un dixième de seconde à son visage pour passer d’un sourire radieux à la mine la plus outrée et amère possible. J’ai jamais eu peur de personne, ni même de me battre avec le plus sauvage et féroce des gars du coin. Mais là, je crois que j’aurais préféré ravaler mon égo plutôt  que d’avoir à faire au courroux de la brune. Quoi que. Je me retrouve debout, un drap enroulé autour de la taille, ne prêtant absolument plus aucune intention à la blondasse qui ramasse fébrilement sa robe pour se barrer en douce avant de s’en prendre une elle aussi. Et la confrontation ne se fit pas attendre. La voix ferme et le ton coléreux, Rose ne perd pas une minute pour me débiter le fond de sa pensée, me dire à quel point je suis un être abject, dénué de sentiments et de tacts, un animal en somme. « NOM DE DIEU DE BORDEL DE MERDE GABRIEL ! ESPECE DE SALAUD VA ! T’AS VRAIMENT RIEN D’AUTRES A FOUTRE QUE D’ALLEZ ZIGZAGUER A DROITE, A GAUCHE ?! ET NOUS DANS TOUT CA ALORS, HEIN ? JE PASSE POUR QUOI MOI ? LA NANA SOUMISE COCUE DE SERVICE ? » Piqué au vif. Et comme à mon habitude, incapable de rester calme. « OUAIS OUAIS, VAS-Y LACHE TOI ! TU POURRAS DIRE CE QUE TU VEUX, M’INSULTER DE TOUS LES NOMS, MAIS SI J’SUIS ALLER VOIR AILLEURS, DEVAIT BIEN Y AVOIR UNE RAISON TU CROIS PAS ?! » Foncièrement, j’ai aucune raison de rager, je suis plus que coupable, mais mon corps réagit de façon compulsive et spasmodique aux disputes. Impossible à éviter ni à étayer.  « COMMENT OSES-TU ! TU TE RENDS COMPTE DE CE QUE TU DIS LA ? EXCUSE MOI, MAIS C’EST LEQUEL DE NOUS QUI VIENT DE SE FAIRE CHOPPER ENTRAIN DE TROMPER L’AUTRE ? T’AS BIEN PLUS A TE REPPROCHER ! PAUVRE TYPE VA ! » « HEY, ROSIE, LES PULSIONS, L’INSTINCT DE PREDATEUR, CA TE DIT RIEN ? TU CROIS QU’ABANDONNER MA LIBERTE, C’EST UN TRUC QUE JE CONCEDE SI FACILEMENT ? EXCUSE MOI D’ETRE ATTIRANT ! J’PEUX AVOIR TOUTES LES NANAS DU COIN A MES PIEDS, ET POURTANT C’EST TOI QUE J’AI CHOISI, IMAGINE UN PEU TA CHANCE ! » Le coup part immédiatement, comme en réponse au non-argument que je venais lâchement d’avancer. Un bon gros et vieux coup de genoux en plein dans les bijoux de familles. La douleur est fulgurante, transcendante. Tout hoquetant et sous le choc, je me retrouve à genoux, à même le sol, les mains sur les noisettes. Relevant la tête, j’ai uniquement rencontré le regard à la fois outré et triomphant de la belle brune. « C’est fini, Gabriel. » Et dans un gracieux tourné de talons, elle s’en va, me laissant seul dans mon désarroi et mes conneries. Quel con. MAIS QUEL CON. Pourquoi est-ce que je foire toujours tout ? POURQUOI ? Ah oui, c'est vrai. Parce que j'ai légèrement tendance à me comporter comme un parfait connard. Même avec les gens que j'aime. « Rosie… Revieeeens… Rosiiiiiiiiiiiie...»

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« Bonjour, maman. » L’intéressée me sourit et m’étreint alors que je dépose un baiser sur sa joue, comme à mon habitude. Bien que les années passent, sa peau est toujours restée aussi lisse et douce et ses embrassades aussi chaleureuses. Il semblerait que les malheurs du temps n’agissent pas sur les mères. Je suspends mon manteau alors qu’elle ferme la porte d’entrée puis la suit jusqu’au séjour où se trouve le reste de notre petite famille. Depuis que j’ai repris les rênes du bar, il y a sept ans, mes parents ont élu domicile dans une belle maison, à deux pas de la plage et de celles de mes grands-parents. Et comme chaque dimanche, je me dois de faire une apparition au repas de famille ou je me ferais fouetter dès le lendemain par ma génitrice devant toute la ville. On est très famille, vous voyez. (a) « Ton père et papi sont en plein match de rugby, à ta place, j’éviterais de trop les déranger, me chuchote ma mère avant de retourner en cuisine, leur équipe préférée est en train de perdre ! » Je souris et secoue la tête doucement. Et dire qu’il y a trente ans, je les menais tous par le bout du nez avec ma sœur ! On était de vrais enfants rois à qui on ne refuse rien ; faut dire aussi, avec nos bouilles d’anges et nos sourires ravageurs, difficile de nous résister. Même les maîtresses à l’école avaient bien du mal à vouloir nous punir ! De sacrés gosses, ouais ! Elle était d’ailleurs là, aujourd’hui, ma rousse. Près de la fenêtre, feuilletant un vieil album photo en compagnie de notre grand-mère qui commentait chacune des représentations avec ferveur. Je m’approchais subrepticement, pour ne pas faire sursauter une mamie à moitié sourde et les embrassait toutes les deux. Lorsque mes prunelles croisèrent ceux de Romane, je reconnus l’esquisse d’un sourire fendre ses lèvres, mais pas le genre de sourire franc et sincère dont elle avait le secret, plutôt le léger sourire, à demi forcé, plus par politesse, pour ne pas me froisser. « Le Soleil brille dehors et l’air est bon, tu veux pas qu’on sorte un peu, dis ? »  Elle jette un œil à Louisette, qui acquiesce sagement, son sourire creusant un peu plus ses rides. « D’accord. » Elle se dégage et fait glisser ses mains sur les deux roues pour avancer. Elle s’apprête à passer au-dessus du tapis persan mais ses roues bloquent et elle s’énerve doucement, ne parvenant pas à se dépatouiller. Je sens bien sa gêne et son agacement. Ce genre de petits couacs la pousse à maudire encore plus sa situation.  Immédiatement, je me place derrière elle, pose les mains sur le fauteuil et la guide au travers de la maison. La rousse prend sur elle et soupire.

Arrivés sur la terrasse, à l’arrière de la maison, celle donnant sur le jardin, je ralentis et la laisse s’avancer jusqu’à la bordure d’où elle peut voir les plages de galets et les reflux marins. Je me poste à côté d’elle, écartant un peu les jambes et plissant les yeux pour éviter l’éblouissement du Soleil. Une légère brise bat l’atmosphère et bien que la température soit agréable, un frissonnement me parcourt l’échine. Pour pallier au silence ambiant, je fouille dans la poche avant de mon pantalon et en tire un paquet de Marlboro à peine entamé. Je porte une cigarette à mes lèvres et part à la recherche de mon Zippo dans la poche de droite. « Je pensais que t’avais arrêté, depuis le temps. » lance-t-elle, le regard toujours porté au loin. J’allume la garot et tire lentement une bouffée de tabac, avant de jeter un sourire en coin à ma sœur. « Tu sais ce qu’on dit, les vieilles habitudes ont la vie dure ! » Je la détaille. J’essaie d’apercevoir un quelconque changement, une preuve, même infime, qu’elle commence à se sentir mieux. J’espérais un petit sourire mais rien. Elle continue à se fermer dans son mutisme et reporte son regard sur les hortensias en fleurs. A mon tour de soupirer. « Tu me manques, Romane. » Son visage se retourne vers moi, ses sourcils sont froncés, marqués par l’incompréhension. Ses épaules se détendent soudainement. « Mais je suis là, Gabe. »  Une nouvelle latte. J’attends de voir la fumée se dissiper dans les airs et de pouvoir écraser le mégot avant de lui répondre, sur un ton que je voulais doux mais ferme. « Nan, Romane. C’est pas toi. Je te reconnais plus. T’es plus la même. Tu ris plus, tu parles plus, tu chantes plus, tu vis plus. C’est ma sœur que je veux retrouver, pas ce fantôme que tu prétends être. » Je m’adosse à la barrière, croise les bras sur mon torse et l’observe alors qu’elle déglutit et détourne le regard. « C’est pas si simple, Gabriel. Je.. » « SI, je la coupe. La Romane que je connais, elle est pas du genre à se laisser faire. C’est une battante, une machine de combat, une lionne à la crinière de feu. La Romane que je connais, elle est peut-être carrément tarée, opiniâtre au possible, mais elle lâche rien et rien ne peut l’ébranler. Pas même un accident. » Je passe une main sur ma barbe naissante et je réfléchis. J’en peux plus de voir ma propre sœur dans un tel état. Je me masse le menton, mordille mon pouce. L’atmosphère a replongé dans le silence, aussi j’enfouis mes mains dans mes poches et racle le sol nonchalamment sur quelques mètres. « Je t’en prie, Ro, prouve-moi que t’es toujours la même. » « Tout le monde change. Regarde, même Adam et toi, vous… » Je me crispe soudainement. Adam. Voilà cinq ans que je ne lui avais plus adressé la parole. Mais ma sœur semblait trouver intéressant et judicieux de remettre le sujet sur le tapis. Sujet auquel je fais la sourde oreille, à chaque fois.  Je l’admets, on a été un beau trio. Une fine équipe opée pour tous les plans foireux et musicaux disponibles. Et à nouveau, je conçois que ma sœur a raison, les choses changent. Il y a deçà cinq ans, ce bougre de musicien a été à l’origine d’un incendie dans mon bar. J’en ai perdu la moitié qu’il a fallu rénover, trois générations d’histoires et de bitures parties en fumée ! J’ai surtout failli y laisser ma peau ! Mais bien sûr, monsieur ne jure que par sa main calcinée. Quel égoïste. « Arrête Romane. Tu peux pas évoluer si tu te raccroches au passé. J’ai bien tiré un trait, moi. » Avec toute cette agitation germant en moi, je recommence à fouiller mon paquet pour me griller une deuxième clope quand j’entends ma mère m’appeler depuis la cuisine pour découper la dinde. Ma sœur hoche la tête comme pour me dire d’obéir et je me dirige vers la porte. Aussi, je fais mine de ne pas l’entendre lorsqu’elle murmure « Mais, à quel prix, Gabe ? A quel prix… »