« Mamaaaaaaaaaaaaaaaaan ! Raph’ me fait chier ! » « Maya ! Surveille un peu ton langage ! » « Mais ! » « Tu vas arrêter de te plaindre ! » « J’arrêterai quand tu arrêteras de me faire chier ! » Elle le frappe sur le bras, il grogne et la pousse avant de lui chiper son téléphone dans un mouvement de ninja tout terrain. « RAPHAEL ! MAMAN ! » Adèle arrive vers ses enfants, une claque à l’arrière du premier avant de prendre l’appareil électronique et de le rendre à la seconde. « Maya, tu vas à la place de Thibaut, et toi tu viens à la place de ta sœur ! Sérieusement, j’ai du mal à croire que vous avez 18 et 23 ans ! » Ils échangent leurs places rapidement avant de se regarder comme maintenant ils sont en face à face. Il lui tire la langue, elle prend un air outré avant de lui faire une grimace, Thib’ le pousse doucement… Ils se regardent tous les trois et des éclats de rire envahissent le salon. Leur pauvre mère roule des yeux avant de se masser les tempes. « Mais qu’est-ce qui m’a fichu des engins pareils… » Ils se regardent et répondent en cœur. « L’orphelinat des bras cassés, bienvenu chez Ikea, parce que nous, on est ikeal ! » Leur petit slogan à la con, c’était Thibault qui l’a trouvé vers ses 13 ans, les autres avaient rapidement suivis le mouvement, ils savaient parfaitement qu’en disant ça, leur mère finit avec une tête dépité pendant que leur père s’étouffe de rire. Elle fait mine de vouloir les étrangler avant de rire à son tour, repartant à la cuisine. « Maya, viens m’aider avec la dinde ! » « Ah c’est pas Maya la dinde ? » Il se prend un torchon en pleine figure alors que Thibaut tend son poing pour qu’il cogne dedans. « Check Mate. » Pauvre petite sœur, elle est devenue un de leurs passe-temps favoris : Comment faire rager Maya, même si Raphaël est celui qui lance le plus facilement les hostilités entre les deux frangins, il faut dire que le roux est un peu plus tranquille à la maison. Mais dehors, c’est une autre paire de manche, un vrai ptit gavroche de la rue. Raph’ le zieute alors que son aîné joue sur son téléphone. Enfin jouer. C’est un grand mot. Il sait bien qu’il trempe dans des trucs pas trop recommandables, mais comment secouer son propre frère ? Il tente bien parfois, notamment en lui interdisant de faire ça dans leur appart’. Après tout, il paye le plus gros des charges, il peut bien exiger ça. Une manière comme une autre de les protéger un peu maladroitement. Finalement, leur paternel arrive de son antre, encore en train de bricoler tout un tas de truc dans son garage. Raph l’observe du coin de l’œil sans rien dire, se grattant nonchalamment la tempe comme à chaque fois qu’il avait envie de parler sans oser le faire pour autant. « Et bien parle donc ! » Il redresse le nez et l’observe à moitié étonné. « C’est vrai que ça va mal au journal ? » Ludovic tourne sa tête vers son cadet avant de sourire. « C’est Noël ce soir, pense à autre chose. » En gros, c’est un oui détourné. Raphaël s’en rend bien compte, il soupire faiblement et se lève pour aller porter le gros plat de dinde et le poser sur la table tandis que Thibaut ne bouge pas son cul, comme d’habitude. Il observe les deux roux de la famille avec une folle envie de leur gueuler dessus, mais il se retient. Sa mère et sa sœur suivent avec le reste des accompagnements. Comme toujours, Adélaïde fait le service, commençant par son mari et sa fille, puis Thib’, pour finir par elle et Raph’. Un rituel qui se perpétue depuis des années, pourquoi le changer ? Le reste du repas est silencieux. Presque religieux. Personne ne parle. Personne ne se regarde. On entend seulement le bruit des couverts et les portables vibrer par moment. Ambiance pesante depuis que la dernière a décidé de foutre en l’air ses études et de tenter une vie de saltimbanque. Mais Noël reste un moment sacré chez eux, malgré les tensions, ils sont revenus dans la ferme familiale, ici que du bonheur, aucun animal élevé pour mourir, ils en récupèrent de toute sorte pour leurs offrir une vie ou fin de vie paisible. A la fin, Thibaut se lève pour se caler devant les dessins animés avec Maya, son père repart dans le garage/grange, il reste seul avec sa mère pour tout débarrasser et remplir le lave-vaisselle, il soupire faiblement. « Si c’est pour t’avoir ronchon, tu peux me laisser faire. » « M’man… » Il lui prend une main en la regardant. « Arrête de lui en vouloir, après tout, on fait pas mieux avec Thibaut… » « Malgré tout, tu as un salaire fixe avec tes cours, et je sais que tu te fais violence pour les faire et Titi lui… bah malgré tout ça se vend ses BD…  enfin presque. » Après tout, il n’en a encore aucune à son nom, mais il travaille avec une maison d’édition et refait des BD à succès pour ressortir des nouveaux exemplaires malgré la disparition des auteurs…. Raph fait une petite moue. « Maya est coriace, elle y arrivera, j’y arrive bien malgré mon cerveau bizarre. » « Mais Maya, elle a carrément un bras en moins… » Pas faux, elle a un bras paralysé. « Elle peut mettre sa main dans sa poche et chanter comme ça, ça lui fait un style. Elle est vraiment douée tu sais. Moi j’crois en elle. Je sais que c’est pas la vie que tu attendais pour nous, mais au moins, on est heureux… » « Vraiment ? Toi tu es juste heureux derrière un piano ou un instrument, mais surtout derrière ton piano, ton frère vit dans un monde à part et ta sœur se prend que des vestes pour le moment. » Elle soupire, il l’enlace doucement. « Ouais, mais on vit… » Il déposa un frêle baiser sur sa joue avant de s’en aller, enfilant veste et écharpe, il sortit pour aller dans le jardin, au fond prêt du grand chaîne où il y avait le mur de pierres. Il en déplace une doucement et plonge sa main dans l’espace ainsi dégagé avant d’en sortir un bracelet de perle bien trop petit pour lui, elles sont rouges et noires, ces couleurs favorites. Il y a une petite note de musique accrochée comme pendentif avec une moitié de cœur. C’est le dernier qu’elle a pu lui offrir, le seul qu’il n’a jamais réussi à porter tellement il se s’était senti si coupable dans ce qui s’était passé. En grandissant, il a compris que ce n’était pas sa faute. Il penche sa tête vers l’arrière en gardant le bracelet dans sa main. « Joyeux Noël Leahn… » Un maigre sourire se dessine sur son visage alors que la neige tombe tout autour de lui dans une valse romantique guidée par un vent doux mais froid. Il frissonne et reste là quelques minutes avant de cacher à nouveau son petit souvenir et de repartir dans la maison. Depuis 13 ans, il a toujours le même rituel et personne ne cherche à l’emmerder même si avec le temps les sourires taquins se dessinent sur les visages. Il aurait pu l’oublier, mais il avait promis de ne jamais le faire.