Il y a toujours eu quelque chose de vivant, à observer la vie qui fourmille à Taleville. Un remue-ménage incessant de la vie qui s'active, qui travaille et qui erre dans les ruelles, à travers les avenues. Les familles qui profitent de la saison pour s'émerveiller des paysages somptueux, pour se vivifier l'esprit, pour simplement regarder la joie et l'innocence qui se dégagent des enfants. Pour qui, l'existence se résume à jouer, à rire et crier, à se divertir en compagnie d'autres êtres avec lequels ils partagent diverses passions. Des âmes qui se promènent à la recherche de quelque chose à faire, à la recherche d'un but auquel accéder. Il a toujours été fascinant pour le garçon que j'étais, de poser les yeux sur ces instants légers, frivoles. Essayer d'attraper un peu de ce que je n'avais pas eu la chance de vivre à l'époque où j'aurais du avoir la possibilité de le faire. Le Destin en avait bien décidé autrement, mais je n'avais pas à reprocher à ma mère sa propre maladie. Il en avait été comme ça, nous avions dû faire avec, tout simplement. Je ne regrette pas vraiment, il n'est rien de plus important pour moi que la santé et la vie de celle qui m'est le plus cher. La seule personne qu'il me reste, en fin de compte. J'imagine son visage endormi, en travers de l'oreiller, son souffle lourd et son sommeil reposant. Ses bras frêles qui me serrent contre son corps trop mince pour une femme de son âge. Ses mots, soufflés dans mon oreille, ses excuses, vaines. Je sais qu'elle aurait aimé une meilleure vie, pour nous deux, mais la vie est tellement meilleure, tant qu'elle en fait partie. Elle n'aurait eu aucun goût, aucune saveur, sans sa présence rassurante. Mais elle est en sécurité, le chien veille sur elle, c'est son devoir. Je l'ai laissé s'endormir auprès elle, avant mon départ. Il me fallait prendre l'air, réfléchir, à ce qu'il se passait depuis quelques temps. D'étranges choses, surprenantes, d'ailleurs. Comme cet homme, Silas. Avec son regard malicieux et charmeur, ses manières de gentleman et son désordre ordonné. Qui m'avait pris comme cible, jurant sur différents dieux qu'il allait m'apprendre à séduire les femmes. Tout ça, parce que j'avais osé dire qu'elles n'avaient jamais eu grand intérêt émotionnel pour ma personne. Et c'est vrai. Je suis un garçon, il est vrai que j'ai parfois regardé, me suis demandé certaines choses. C'est normal, c'est la vie. Les rencontres, les hormones, tout ça. Mais je n'ai jamais eu aucune attirance réelle pour qui que cela soit. Je n'en ai pas vraiment eu le temps, aussi, jusqu'à maintenant. Il s'était mis en tête de me faire découvrir leurs charmes, leurs point faibles et la manière exquise pour pouvoir faire tomber celles-ci entre mes mains. Vil manipulateur. Il n'empêche que j'avais apprécié sa fraîcheur et sa folie, la manière qu'il avait de vivre sans se préoccuper du lendemain. Quelqu'un de fascinant, vraiment.

Présentement, je me trouvais assis sur un banc. Le banc, par excellence, où nous nous étions toujours donné rendez-vous avec mon amie pâtissière. Fraîchement arrivée dans la ville, un peu perdue, sans vouloir se l'avouer. Notre passion pour les aliments et leur confection, la manière de pouvoir en faire quelque chose de sublime, d'élégant, d'incroyablement surprenant en bouche. D'après ma montre, il restait quelques minutes avant qu'elle n'arrive, si aucun empêchement ne l'avait arrêté dans sa course. Il me semblait que rien de ce genre n'était arrivé, mais on ne sait jamais ce que la vie réserve à nos existences. Fermant mes yeux bleus, je relâchai ma tête vers l'arrière. Me laissant simplement bercer par le bruit régulier des rires, des roues de certaines poussettes, de l'eau qui crépitait à travers les tuyaux de la fontaine. Appréciant la simplicité de toutes ces choses.