« Rose ! Rose ! » Il la cherche dans tous les sens depuis presque une heure maintenant, elle est douée pour se dissimuler dans des recoins, n’écoutant plus personne, bien trop plongée dans son monde. « Rose Saint-Jean ! » Il soupire et se masse le front. « Le jardin ! » Il sort précipitamment de la chambre du haut de ses 45 ans et file vers le jardin familial qui se retrouve dépouillé de beaucoup de chose. Il la trouve alors assise contre un arbre, un livre entre les mains, le chien sur une cuisse, la chèvre naine broutant de l’autre côté. « Rose… » Elle ne décroche pas son regard de la page qu’elle fixe sans lire vraiment, puisque les larmes brouillent sa vision. Il se laisse tomber sur le sol pour se mettre à ses côtés, passant sa grande main sur la joue mouillée de sa petite-fille. « Je suis désolé, je sais que tu aimes la ferme, mais on doit s’en aller. » « Mais si on part et que Maman revient, elle saura pas qu’on est partis. » Logique, perspicace. Il est sous le choc, ne pensant pas que sa petite puce penserait à de telles choses du haut de ses six printemps.  « Et si tu lui laisses un mot dans votre cachette ? » « Déjà fait, mais on sait jamais… » Il penche sa tête sur le côté, reprenant son souffle. Depuis la disparition subite de sa femme, il est un homme en proie à la peur de se retrouver encore plus seul. « J’ai dit à la voisine où on aller. Si ta mère revient, elle lui dira ! » Ce n’est pas exactement vrai, mais il se dit qu’un petit mensonge ne peut pas faire de mal dans les cas-là. « Et les animaux ? » « Tu sais Monsieur Léon ? Celui qui habite de l’autre côté du village, avec tous les chevaux ? » Elle hoche sa tête. « Il va venir pour les récupérer, tout à l’heure. Et il m’a donné son numéro pour que tu puisses appeler et avoir des nouvelles. » Il lui montre le papier en souriant. Elle regarde Mirabelle, la chèvre et Pompon, le vieux chien de famille, heureusement que lui peut venir avec eux. « Il faut s’en aller Rose, on a un peu de route devant nous… » Elle se mord la lèvre, c’est dur de quitte un tel endroit. Finalement, elle se lève, caressant la chèvre durant quelques instants avant de suivre le vieux chien jusqu’à la voiture. Elle sait que leur nouvelle ville est belle, que les choses seront bien aussi, que la boutique est mignonne, que son père a besoin de cet emploi, mais tout ça reste un pincement dans son petit cœur d’enfant. Elle regarde la bâtisse alors que l’auto s’éloigne de plus en plus, tout devient petit, tout devient insignifiant, elle se remet dans son siège regardant l’homme à ses côtés avant de lui sourire un peu malgré ses yeux larmoyants. C’est dur de quitter tout ce qu’on a connu dans une vie. Enfin, une petite vie.

« Rose ! Rose ! » Il s’active dans le magasin, à travers les rayons faussement poussiéreux, le bois sombre demande beaucoup d’entretien et donne cette impression de vieille crasse infinie alors que tout est impeccablement propre. « Rose Saint-Jean ! » Il soupire en s’arrêtant devant le rayon des vieux livres, il était tellement sûr de pouvoir la trouver ici. Elle arrive par le balcon intérieur, là où se trouve leur appartement, s’accoudant à la barrière, elle regarde directement dans la boutique, cherchant après son père, quand elle le voit, elle rit. Il se tourne et lève la tête, fixant alors sa fille. « Rose, ils vont arriver, tu as tout préparé ? » Elle fait une petite moue, en bonne jeune fille de 14 ans, elle croise ses bras. « Oh  j’avais oublié. » « ROSE ! » Il n’est pas autoritaire, il hausse rarement le ton avec elle, il se est juste complètement stressé à l’idée de savoir que ses patrons vont passer à la boutique, comme souvent même si ce n’est rien au final. « Mais oui, les cupcakes sont prêts, le thé et le café aussi, comme le salon qui est impeccablement rangé ! » « Mais toi tu es sale comme un petit cochon ! » Elle se regarde et remarque les traces de cuisine sur sa robe, elle soupire et part dans sa chambre, prenant de quoi se changer avant d’aller à la salle de bain. Elle attache ses longs cheveux bruns dans une tresse sur le côté, elle enfile une nouvelle robe blanche lui arrivant aux genoux. Elle s’observe dans la glace avant d’entendre la cloche résonner, puis les escaliers craquer, elle sort de la pièce pour se retrouver un petit couloir. Elle ouvre une autre porte et entre dans le petit salon, regardant les gens, elle leur sourit poliment avant de rougir en remarquant la présence de Bastian la rend toute chose. Elle se racle la gorge pour reprendre un peu de contenance, ignorant son sourire ou son regard pour partir à la cuisine chercher les gâteaux et les boissons. Revenant vers eux, elle prend garde de se tenir à bonne distance du jeune homme, ne prêtant même pas un regard pour sa personne. C’est la seule façon de ne pas rougir, de ne pas être démunie face à lui. Elle est juste là pour aider son père, laissant les adultes faire la conversation. Malgré tout, elle ne peut s’empêcher de perdre ses prunelles dans le regard azur du grand brun.

« Rose ! Rose ! » Il est débordé par la clientèle, quand Noël est aux portes du monde, ils font un bon chiffre d’affaire, il ne peut le nier, mais la queue s’accumule et il est incapable de faire un paquet correct, il a besoin d’elle, il le sait mais elle reste introuvable alors que les clients présents commencent à râler. « Rose Sain-Jean ! » Elle arrive finalement en courant, se précipitant derrière le comptoir. « Voilà, voilà, je viens, je viens ! » Elle fait la moue, resserrant sa queue de cheval, réajustant son tablier. « Pardon pour l’attente. » Elle prend les objets rapidement et les emballe pour faire de beaux paquets cadeaux, espérant que l’aura qu’ils dégagent plaira aux futurs propriétaires. Elle sourit quand elle voit une collection de soldat de plombs et la petite boite à musique. « Vos enfants seront ravis ! » Elle travaille sans relâche durant trois heures avant de voir la boutique se vider un peu. Essuyant son front, elle soupire en se posant sur un tabouret derrière le comptoir. « Roooooose ! » Elle se mord la lèvre en grimaçant, sachant pertinemment ce qu’il allait lui dire. Lorsqu’elle arriva vers lui, il tenait alors l’objet du crime. Elle ne put retenir une petite moue. « Pourquoi tu les as encore cachés ? » « Parce que je n’ai pas envie qu’on les vende. » « Rose… » « Je sais mais j’y tiens, on les a depuis longtemps à la boutique et j’adore les voir ici. » Il soupire et la regarde, lui donnant la caisse. « Allez, va les mettre dans le coin des invendables ! » Elle sourit et les prend avec plaisir, courant vers la vitrine, elle les arrange de manière à ce qu’ils soient visibles sans être trop mis en avant non plus. Et puis son regard se pose sur la broche en forme de rose. Elle la prend délicatement entre ses doigts fins, la caressant, comme hypnotisée par le bijou. Elle entend la clochette retentir et regarde le client qui vient d’arriver. « Quel beau bijou, combien coûte-t-il ? » « Il n’est pas à vendre, je suis désolée, il est juste en exposition… » Elle la range et referme la vitrine après l’avoir fermée à clés, souriant à l’homme avant de lui montrer le reste de la boutique, l’aidant à trouver un cadeau adéquat pour sa dame.

« Rose ! » Elle continue de marcher, son mp3 sur les oreilles. « Rose ! » Elle l’entend au loin, mais elle préfère l’ignorer encore. Il soupire et continue de la poursuivre dans la nuit noire jusqu’à arriver à sa hauteur. Il l’observe dans sa belle robe bleue légèrement moulant, ses longs cheveux attachés en une haute queue de cheval. « Rose Saint-Jean ! » Elle finit par s’arrêter en soupirant, le regardant droit dans les yeux sans rien dire. Il affiche un sourire d’alpha mâle séducteur au possible, bien décidé à lui faire du rentre dedans, comme souvent quand ils sont seuls. « Tu n’as personne d’autre à ennuyer Gabriel ? » « Parce que je t’ennuie ? Je voulais juste parler ! » « Va parler aux filles qui se pavanent devant toi à la taverne ! ça ne te changera pas trop ! » Elle passe à ses côtés avec son air de chieuse précieuse, reprenant sa route tout en se mordant la lèvre, argh, pourquoi doit-il être si sexy hein ? Il la rattrape encore, elle l’ignore et rentre dans la boutique, fermant la porte à clé avant de se rendre à l’étage. Oubliant un instant la rencontre le temps d’une douche. Lorsqu’elle en sort et qu’elle se pose devant sa fenêtre pour admirer les étoiles, elle le remarque torse nu devant la sienne en train de fanfaronner faussement. Elle le connait, elle sait qu’il ne fait rien sans le réfléchir avant. Appuyée contre le montant en bois, elle observe la scène sans se gêner, se mordant la lèvre parfois. Quand il la remarque, elle s’éloigne pour rentrer dans la pénombre, hors de question de lui montrer qu’il peut la perturber d’une manière ou d’une autre. Elle soupire en se mettant sur son lit, fixant le plafond en rêvant à autre chose, se trouvant éternellement insatisfaite alors que tout va bien dans sa vie… Et pourtant, elle passe son temps à rêver d’autre chose… encore et encore.